Trump et Internet : l’avenir s’assombrit
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Trump et Internet : l’avenir s’assombrit

Dans l’un de nos récents dossiers, nous évoquions le danger que courrait la planète Internet d’être privatisée, au profit des seuls américains. Plusieurs scénarios avaient été envisagés. Divers indices semblent démontrer que l’on se dirige tout droit vers ce qui pourrait être une catastrophe pour notre modèle économique.

Ce n’est plus de la science-fiction

Il y a quelques mois, on pouvait encore se dire que le risque de privatisation d’Internet que nous présentions comme possible, avait peu de chance de se concrétiser si Donald Trump était réélu. Tant il aurait des conséquences négatives sur l’ensemble de l’économie numérique.

Nous évoquions d’ailleurs quelques « pistes » envisageables dans cette privatisation, parmi lesquelles une redevance à payer auprès des fournisseurs d’accès, ceux-ci reversant aux agences américaines, une partie du perçu.

L’autre éventualité que nous envisagions était le durcissement des relations commerciales entre le président américain et le reste du monde, qui là encore ne pouvait qu’entraîner des conséquences désastreuses pour les utilisateurs d’Internet.

Deux faits nouveaux viennent de nous donner raison : la bataille déclenchée par le président américain contre Huawei et la soumission de Google au décret anti-Huawei de Donald Trump. Des faits qui vont désormais se multiplier et nous obliger à anticiper sur une refonte du paysage Internet. 

 

Les relations américano-chinoises se sont brusquement dégradées à la suite des tweets vengeurs de Donald Trump, qui par décret, interdit désormais aux entreprises américaines de collaborer avec Huawei, l’un des acteurs les plus actifs de la filière technologique cellulaire. On a connu des temps plus sereins.

Que s’est-il passé ?

C’est très simple. Par décret, Donald Trump a décidé que les entreprises américaines, quelles qu’elles soient, ne pourraient plus collaborer avec Huawei, sous peine de sanctions, une attitude qui gagnera probablement l’ensemble du secteur technologique chinois.

C’est pour respecter ce décret que Google a annoncé qu’Android ne serait pas sur les nouveaux smartphones d’Huawei et que les services proposés par l’hôte de Mountain View : You Tube, le moteur de recherche, etc, seraient interdits de cité. Heureusement, cela ne concerne pour l’instant que les smartphones nouveaux, les anciens pouvant s’appuyer sur la « mansuétude » américaine, sans doute parce qu’il serait très difficile de revenir en arrière…

Pour l’instant, cette mesure ne concerne que les entreprises américaines, mais compte tenu de ce que le président Trump a une idée très personnelle de l’extra-territorialité, il est quasiment certain qu’une entreprise étrangère, européenne, canadienne, japonaise ou autre, serait à terme sanctionnée de la même manière, si malgré l’ukase américain, elle continuait à collaborer techniquement avec l’ogre chinois.

Autre préoccupation grave, les bruits de plus en plus insistants selon lesquels, hors conflit américano-chinois, les prestations des GAFA pourraient devenir payantes, une quinzaine de $ par mois, par exemple, pour le seul moteur de recherche Google.

Ce qui est bien une forme de privatisation d’Internet, Donald Trump considérant à tort que le réseau lui appartient et qu’il est libre d’y pratiquer les mesures de rétorsion qu’il souhaite.

Nous pouvons d’ailleurs nous poser la question de savoir quel est le montant que nous accepterions de payer pour ce service de recherche, à coup sûr très au-dessus des quinze $ évoqués aujourd’hui.

 

Un jour, il faut payer la note

On peut toujours s’insurger contre un président qui a fait d’ « America First », un slogan électoral redoutable et estimer qu’entre amis, ce n’est pas bien d’imposer de telles pratiques, mais il faut aussi savoir balayer devant sa porte et comprendre que ce qui peut nous arriver, est largement aussi la conséquence d’une attitude irresponsable de la part d’un grand nombre d’états et que ce sera à nous de payer la note.

C’est un premier ministre français, Jean-Marc Airault qui recommandait il y a quelques années, aux administrations dont il était responsable, d’utiliser à 20 % minimum Internet pour les processus dématérialisés de son gouvernement. Se basant uniquement sur le fait qu’Internet était beaucoup moins cher, comparé à une infrastructure qu’il aurait fallu monter de toute pièce.

Monsieur Airault ne semblait pas comprendre que le « prestige » de la France et ses liens d’amitiés historiques avec l’oncle Sam, ne la mettait pas à l’abri de mesures de rétorsion, telles que celles que nous prépare le président US.

Mais alors que pouvons-nous faire ?

A vrai dire pas grand-chose, car aussi bien pour Internet que pour les technologies avancées des smartphones, tablettes, systèmes d’exploitation, etc, il nous est impossible de faire machine arrière. Sauf à mettre les entreprises en péril, en reconstruisant des systèmes d’information allégés de la mainmise américaine.

Les chinois s’y sont essayé, mais ont fait très vite machine arrière, sauf dans certains secteurs clés, comme les ordinateurs scientifiques de très grande puissance, pour lesquels ils détiennent actuellement le second rang derrière une machine américaine et pour laquelle ils ont conçu des processeurs spécifiquement chinois et abandonné les circuits Intel.

Le problème est que ce qui est envisageable pour le marché de la recherche, de la météo ou de la sismique pétrolière, n’est pas transposable au grand public et aux entreprises « normales ».

Certains pays pourraient s’imaginer être exemptés de la menace américaine, du fait de leur proximité et allégeance, tels la Grande-Bretagne ou la Pologne, mais aussi certains pays d’Amérique du sud, mais ils se font des illusions, car eux-aussi dans la logique Trumpienne, devront payer les redevances.

La situation est d’autant plus délicate que l’on a bien compris qu’il n’y aura pas de « rébellion » chez les GAFAM et que ceux-ci appliqueront scrupuleusement les nouvelles règles. Ne serait-ce que pour des questions légales.

 

Lors d’un récent G7, Donald Trump n’a pas hésité à affronter violemment l’ensemble de la communauté présente au sommet. Pour le président Trump, Internet et la technologie américaine ne sont pas suffisamment rémunérés. Et il emploiera tous les moyens pour imposer le nouvel équilibre qu’il appelle de ses vœux.

Ne pas avoir raison

Depuis le début, cette affaire prend (très) mauvaise tournure. Et le risque est grand de plonger de nombreuses économies dans le marasme. Il suffit d’ailleurs de chiffrer ce que nous coûterait individuellement, dans nos entreprises, la disparition d’Internet et des technologies américaines. Il nous faudrait plus d’une génération pour nous en remettre.

Cela dit, la politique de Donald Trump n’est pas sans risque non plus. Car après les premiers effets financiers, mis en évidence pour la campagne électorale, les américains ressentiraient à plus long terme des conséquences équivalentes. Financières aussi, car une grande partie de leur marché se situe hors des Etats-Unis, mais surtout de repliement sur eux-mêmes, les conseillers de Donald Trump n’ayant sans doute pas mesuré à quel point l’innovation technologique en informatique et Internet n’est plus l’apanage des « grosses têtes » US, mais plutôt chinoises, indiennes, japonaises ou européennes. Il suffit, pour s’en rendre compte, de consulter les « proceedings » publiés par les intervenants des grandes conventions technologiques américaines, pour s’apercevoir qu’ils sont généralement signés par des spécialistes étrangers et que dans le même temps, les Universités prestigieuses telles que MIT, Harvard, UCLA ou Berkeley, se mettent furieusement à parler chinois.

Tout cela peut n’être au fond qu’un mauvais rêve et il faut espérer que les belligérants finiront par comprendre, quel que soit leur bord, qu’ils ont plus à perdre qu’à y gagner. Mais que nos lecteurs nous pardonnent, cette fois, nous sommes vraiment pessimistes

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